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La semaine dernière, il n'y a pas eu de post pour cause de conjoncture éditoriale défavorable (le nain qui s'occupe de la version reliée de ma prose a retenu son souffle pour que je m'occupe de corriger mon orthographe digne d'un ignare atteint de paralysie des doigts. Je n'aurais eu aucun complexe à le laisser s'étouffer mais je suis bien placé pour savoir que ce petit morveux serait revenu me hanter.)


Bref, le post hebdomadaire porte sur une anecdote d'il y a quinze jours, peu après que je sois rentré de Naze où – je le rappelle – j'ai effectué un petit plongeon dans une eau avoisinant les dix degrés. Donc, en rentrant, j'avais la poitrine qui me démangeait.


Donc le lendemain, j'avais la truffe dégoulinante.


Donc le soir qui a suivi, j'avais de la fièvre et je crachais du mucus radioactif.


Donc le médecin m'a annoncé, triomphant du haut de ses années d'études supplémentaires que j'avais "pris froid". Il est même reparti avec un échantillon, vu que congestionné jusqu'aux paupières, je n'ai pas pu me retenir d'éternuer quand il a voulu examiner ma gorge.


Shinkin est ravie, elle adore que je sois malade : elle peut manger deux fois plus de saloperie, se coucher aux heures qui lui conviennent, n'à pas à se taper les exercices de méditation et joue les infirmières. Elle ne sera jamais aide-soignante, du reste, si je n'étais pas solide, elle m'achèverait. Il m'a fallu beaucoup de patience pour lui expliquer que mélanger du sake dans le café d'un malade n'était pas l'idée du siècle. Et puis nom de dieu, ce qu'elle peut me gonfler à jouer les cheftaines avec ses "Mais va te recoucher !" ou "Le docteur il a dit que tu devais te reposer" ou encore "Hé, t'as même pas pris tes cachets". Je vais lui refiler ma crève si elle continue, ça me permettra de lui rendre la monnaie de sa pièce.


Heureusement, il y a l'école, soit plusieurs heures par jour durant lesquelles je peux jouir seul de mes miasmes dans la dignité (et les effluves de spray nasal). Pas de mission, pas d'exorcisme, juste moi, ma couette et mes mouchoirs sales, dans une fiévreuse félicité.


Dring.


Putain je vais hurler. Le monde, l'univers ne pourrait pas m'oublier ? Pourquoi dring, pourquoi, pourquoi pendant quelques heures ma porte ne peut-elle pas basculer dans une autre dimension ?


Merde, j'y vais pas. Ils se lasseront avant moi.


Dring.


Dring.


Dring.


Ok, je me lasserai avant eux. Je m'enveloppe dans ma couette, ajuste mon masque sur la bouche et me traîne jusqu'à la porte, que j'entrouvre.


"Kondo-san ?"


"Cas de quarantaine. Cassez-vous ou je vous tousse dessus et il ne vous restera plus qu'à vous faire greffer de la peau." C'est ce que j'aurais aimé répondre mais mon cerveau embrumé d'anti-inflammatoire m'a juste permis de marmonner un "Ouais, quoi ?" vaguement agacé.


"Vous êtes bien Kondo-san ?"


"Non, son fantôme." Je renifle "Vous êtes qui ?"


J'observe l'enquiquineur : un akaname, sorte de créature batracienne tachetée, qui dans le cas présent porte ce qui semble être un costard. Ou alors c'est simplement le facteur et j'ai de quoi m'inquiéter au sujet de la composition de mes médicaments.


"Syndicat Akaname, Kondo-san. Croyez-bien que je suis navré de me vous déranger de la sorte mais voyez-vous, je suis venu plusieurs fois et vous n'étiez…"


"Minute…Syndiquoi ?"


"Le syndicat des  travailleurs Akaname, Kondo-san."


Je cligne des yeux et ouvre la porte en grand pour détailler le truc qui parle sur mon palier en me débitant des énormités qui me font craindre de sérieux dommages sur mon cortex. A moins que je n'ai confondu mon sirop avec la bouteille de javel ?


"Il y a un syndic' pour les mange-crasse ?"


Mon interlocuteur se rembrunit et pince les lèvres, passant du moche au franchement ridicule.


"Pourriez-vous s'il vous plaît ne pas employer ce terme dégradant, Kondo-san ? Je vais être forcé de le noter."


"Le noter ? Le noter où ?"


"Vous employez bien un akaname ?"


"Issô ? Oui, il vit ici. Je vous l'appelle" (et je retourne me coucher, pillez l'appartement si ça vous amuse, laissez-moi juste mes comprimés) "ISSÔ !!! QUELQU'UN ! Grouille, j'ai sommeil !" Je hurle en me retournant. Lorsque je me retourne, le syndicaliste tire sur le blanc.


"Vous…Criez toujours comme ça ?"


"C'est plus audible qu'en langage sourd-muet à priori."


Nouveau pinçage de lèvres alors qu'il plonge le nez dans un carnet où il griffonne quelques mots. Pendant ce temps, Issô arrive et jette un coup d'œil derrière mes jambes.


"Pas trop tôt. C'est le syndicat, pour toi, Monsieur…"


"Madame" Me coupe une petite voix.


C'est…Une femme ? J'inspire un grand coup et tousse aussitôt, à en répandre mes poumons sur les pieds de la visiteuse. Ca devient surréaliste, je vais les laisser se débrouiller.


"Madame veut te voir. Bonne nuit."


"Ce n'est pas Issô-san mais vous que je dois rencontrer, Kondo-san !" M'interrompt miss monde, s'attirant un regard découragé, pimenté d'une amorce de haine.


"Pour me demander QUOI à la fin ?"


"Je dois m'assurer que vous respectez les normes de travail nécessaires aux Akaname et qu'Issô-kun ne souffre pas dans son emploi. Combien de temps par jours l'employez-vous ?"


Je grogne et me frotte le nez, qui s'est remis à couler.


"Comment vous voulez que je le sache, moi ? Il passe son temps à promener dans l'appartement, j'ai mieux à faire que de le surveiller."


"Vous voulez dire que vous n'encadrez pas ses heures de travail ?". Elle me regarde, les yeux écarquillés…A moins que ça ne soit leur taille naturelle. Les mange-crasse sont déjà pas des masses glamour mais en costard, surtout quand on a de la fièvre, c'est comme mater les pubs à la télé après avoir respiré de l'adoucissant. En tout cas, sans jamais avoir testé, je suis à peu persuadé que ce que je ressens en est proche.


"Ben écoutez, ça va vous paraître dingue mais chez moi on bouffe quand on a faim, on bosse quand on juge ça nécessaire et on dort quand on a sommeil – et qu'aucun emmerdeur ne vient sonner à la porte du moins. Il fait ce qu'il veut, comme il veut, je m'en fous."


"Vous…vous en foutez ?"


Elle a une expression de bébé grenouille qu'on tente de noyer.


Je renifle bruyamment et fouille dans mes poches pour ne trouver que des restes de cadavre de mouchoirs, dont je réussis à extraire un petit coin pour éponger ma truffe détrempée.


"On me l'a collé dans les jambes sans que je demande rien, alors le planning de mon mange-crasse, vous voyez, pour moi c'est un peu comme la composition de mes céréales : c'est pas parce que je l'ai tous les jours sous les yeux que ça m'interpelle. Je peux retourner contaminer mon oreiller, maintenant ?"


L'akaname syndicaliste continue à écrire, plus vite cette fois.


"Je suis désolé, Kondo-san mais je vais être obligée de faire parvenir ce rapport…"


"Tout ce que vous voulez. Laissez-moi juste retourner me coucher et vous pourrez expédier TOUT ce que vous voulez." je grogne en essayant d'exhumer un autre reste de mouchoir.


"Et je crois que je ne peux malheureusement pas laisser Issô-san chez vous pour le  moment, vous m'en voyez désolée."


S'il n'y a que ça pour lui faire plaisir…Je chope le mange-crasse par une touffe de cheveux et le pousse sur le palier sans ménagement.


"Voilà. Et si vous avez une petite faim, surtout n'hésitez pas, l'état de ma poubelle va vous faire rêver. Maintenant, lâchez-moi la grappe, vu ?"


Issô couine et tente de rentrer, mais je le repousse du pied.


"Désolé mon vieux, mais tu as entendu madame, je suis un patron indigne."


"Je n'ai pas dit ça, Kondo-san, il ne s'agit pas de vous condamner mais vous pourriez avoir besoin d'accompagnement pour que tout se passe au mieux."


Mais elle le fait exprès ou quoi ? Depuis combien de temps est-ce que je répète avec ma tronche de lépreux, mon nez rouge dont la peau est en train de tomber en lambeaux et mes yeux de shootés que je veux retourner dans mon lit ? Qu'est-ce qu'elle me raconte comme âneries avec son accompagnement ?


"C'est ça, accompagnez-moi. Par contre je ne vous rendrez pas la politesse, vous savez où est l'escalier. Au revoir."


"Il me faut votre signature !" Me signale-t-elle en me tendant le carnet qu'elle tient dans ses pattes visqueuses. Je le lui arrache des mains.


"Avec mon sang, mes larmes ? Je vous mets le numéro de ma carte bleue aussi ?"


"Non votre signature…"


"Ce que vous voulez mais VITE !"


"Votre signature au bas du document me suffira Kondo-san."


Je retourne vers mon bureau, renverse le tiroir par terre et récupère mon hanko avant de tamponner son fichu document, dont elle n'a même pas le temps de me fournir un double avant que je ne claque la porte pour me réfugier dans mon lit. Et cette fois, un commando de terroristes kitsune pourrait venir se constituer prisonnier sur mon palier que je ne bougerais pas de là.


Néanmoins, si mon cerveau n'avait pas été occupé à se consumer, peut-être que le terme "accompagnement" m'aurait mis la puce à l'oreille. Ou il aurait dû.


***

Lorsqu'on est revenu sonner à la porte, quelques jours plus tard, j'étais à peu près remis, du moins je n'étais pas prêt à attaquer mon reflet dans le miroir lorsque j'entrais dans la salle de bains.


Issô est là, flanqué d'un autre akaname, lequel m'adresse un large sourire.


"Kondo-san ? Je suis honoré de faire votre connaissance. Croyez-bien que je ferais de mon mieux afin que l'accompagnement se passe bien."


"L…L'accompagnement ?"


"Le rapport qui a été remis au syndicat indique que votre gestion de votre agent d'entretien akaname pose quelques problèmes, il m'envoie donc afin de vous aider dans cette mise en œuvre. Ensemble, nous pourrons faire de notre mieux  ! C'est notre mot d'ordre."


Gros silence, pesant, consterné de ma part alors que je réalise pour QUOI j'ai signé. Mon regard passe d'Issô à l'autre mange-crasse, qui me sourit toujours plus largement de ses lèvres humides de batracien.


"Hem…Vous savez, ma baignoire pleine de traces me va aussi, hein…"


"Mais non, vous verrez, tout se passera bien!"


"Avec deux mange-crasse au lieu d'un ?"


"Ha, je vois que nous allons devoir travailler ensemble sur ça pour commencer. Vous êtes du métier, non, vous connaissez le terme "akaname", pourquoi être blessant avec un employé qui donne le meilleur pour vous?"


Il me colle une espèce de manuel dans les mains.


"Un employé heureux est un employé qui fait de son mieux. Tenez, nous allons voir ensemble le chapitre sur le dialogue."


Note pour moi-même : laisser Shinkin gérer les papiers quand les seuls que j'accepte de voir sont les mouchoirs par paquets de dix.

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Source de l'image :  http://www.flickr.com/photos/toshi123/4580499028/


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